En débattre

Le regard de Paul Ariès, politologue, spécialiste de l’alimentation

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Le regard de Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture à l’INRAE

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Le regard de Francis Wolff, philosophe

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Le regard de Jean-Michel Lecerf, médecin

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Le regard de Frédéric Denhez, écrivain et conférencier

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Le regard de Paul Ariès, politologue, spécialiste de l’alimentation

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Se présentant comme objecteur de croissance et amoureux du bien vivre, Paul Ariès a dirigé plusieurs médias, tout en multipliant les essais et conférences. Récemment, il a publié « Une histoire politique de l’alimentation - Du paléolithique à nos jours » (Max Milo) et « Lettre ouverte aux mangeurs de viandes qui souhaitent le rester sans culpabiliser » (Larousse).

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Consommer ou non de la viande, du fromage ou du lait relève d’abord de la liberté individuelle, mais parfois également de la santé publique. Végétariens et végétaliens me sont sympathiques lorsqu’ils ne cherchent pas à imposer aux autres leurs choix alimentaires. Dans le cas contraire, c’est contestable et les arguments avancés s’avèrent souvent discutables. Chacun est donc libre de choisir son régime alimentaire, tant qu’il ne menace pas le droit à l’alimentation d’autrui. Aussi, je défends les messages de santé publique recommandant aux parents de ne pas priver leurs enfants de lait maternel/maternisé au profit de lait de soja n’ayant pas les mêmes propriétés.

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?

Il ne faut pas confondre la nécessité dans les pays riches de manger moins de viande, mais d’en manger mieux, avec le désir d’en finir avec toute viande, tout fromage et tout lait. Le vrai clivage n’est d’ailleurs pas entre protéines animales et végétales, comme le clament les végans, mais entre la production industrielle de celles-ci et une agriculture paysanne avec un élevage de type fermier. Je ne peux accepter l’idée de vouloir imposer du faux lait, du faux fromage, de la fausse viande fabriquée, par exemple, en usines, à partir de cellules souches. Je regrette que les consommateurs se soient déjà habitués à une viande euphémisée, ne ressemblant plus à de la viande.

Dans vos tribunes et lettres ouvertes, vous insistez sur l’importance de déculpabiliser les mangeurs de viande, pourquoi ?

Les végans ont raison de dénoncer certaines dérives de l’industrialisation, mais pas d’accuser les mangeurs de viande d’affamer l’humanité ou encore d’être responsables du réchauffement climatique, entre autres. Je le dis tranquillement : ils ont tout faux. L’agriculture végane serait d’ailleurs incapable de nourrir 8 milliards d’humains. La seule solution pour remplacer le fumier animal serait d’utiliser toujours plus d’engrais chimiques, de produits phytosanitaires… Bref, tout ce qui détruit l’humus. L’élevage fermier n’est pas davantage responsable du réchauffement climatique. Une prairie avec ses vaches n’est pas une source, mais un puits de carbone. Je rappelle aussi dans ma « Lettre ouverte aux mangeurs de viandes » que les protéines végétales ne sont pas équivalentes aux protéines animales.

Comment analysez-vous les attaques récemment émises contre les éleveurs, les abatteurs et les bouchers ?

Je connais bien ce dossier auquel j’ai consacré, voici 20 ans, un premier ouvrage : « Libération animale ou nouveaux terroristes ». À l’époque, je dénonçais certains réseaux, leurs actions et leurs méthodes, en mettant en garde contre cette violence trop souvent banalisée, si ce n’est légitimée par ces milieux. On nous explique que tout cela ne serait pas bien grave, qu’il n’y a pas de morts à déplorer, mais ces actes sont inacceptables.

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Le regard de Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture à l’INRAE

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Exerçant à l’INRAE, spécialiste de l’alimentation des vaches laitières et des rapports entre élevage et environnement, il préside également l’Animal Task Force. Cette plate-forme, qui réunit une vingtaine de pays, prépare une étude prospective pour la Commission européenne sur la place de l’élevage dans l’agriculture de demain.

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Oui, car les apports biologiques propres à la viande aident à rester en bonne santé. Par contre, on peut en consommer un peu moins : on recommande d’ingérer 50% de protéines animales et 50% d’origine végétale, mais l’Europe de l’Ouest se situe plutôt sur un ratio de 65/35. Cela étant, beaucoup de plats de notre patrimoine gastronomique associent les deux, comme le petit salé aux lentilles ou le cassoulet. Aussi, j’estime qu’on a le droit de manger la viande des animaux, s’ils sont élevés dans de bonnes conditions. Et puis, ils entretiennent nos paysages et il n’y aurait pas d’agriculture durable sans élevage.

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ? 

Nous sommes quasiment tous flexitariens, comme le montrent les dernières enquêtes du CREDOC, organisme de référence, qui analyse nos modes de consommation. D’ailleurs, cette tendance n’est ni nouvelle, ni aléatoire et, indépendamment des attaques dont la viande peut faire l’objet, il s’agit d’un vrai mouvement de fond. Si celui-ci a des origines variées, c’est plutôt une bonne nouvelle pour les éleveurs. En effet, consommer différemment implique de produire autrement, en mettant toujours plus en valeur des pratiques respectueuses d’un système tourné vers l’agroécologie. En l’occurrence, ce choix se traduit déjà dans les orientations que prennent les filières ou encore les États Généraux de l’Alimentation.

Comment expliquez-vous les critiques actuellement formulées à l’encontre de l’élevage ? Sont-elles justifiées, selon vous ?

Les détracteurs s’appuient sur des chiffres mal interprétés. Non, l’élevage n’émet pas autant de gaz à effet de serre que le secteur du transport, si on compare ce qui est comparable. De même, le volume d’eau nécessaire à la production de viande est très discutable. Quant aux terres agricoles dédiées à l’élevage, la majorité ne pourrait pas être utilisée pour les humains.
Enfin, l’élevage est écologiquement indispensable pour préserver la biodiversité, capter le CO2 ou filtrer l’eau. Et n’oublions pas les 800 000 emplois à la clé, qui occupent 3% de la population active française, tout en maintenant un tissu social dans les campagnes.

Des alternatives viables à l’élevage sont-elles possibles, voire souhaitables, pour nourrir 9 milliards d’êtres humains sur la planète ?

J’en doute. La production de viande artificielle n’est pas au point, coûterait cher énergétiquement, n’apporterait pas les mêmes nutriments et nécessite beaucoup de facteurs de croissance qui sont interdits en élevage. Quant aux substituts végétaux de la viande, ce sont des produits très transformés. Les insectes : il s’agirait d’une production industrielle avec un impact écologique et serait-ce vraiment à notre goût ? Chercher une alternative à la viande n’est pas la question. Certes, le Sud-Est asiatique peut réduire sa consommation (45% de la viande mondiale), mais pas les enfants africains anémiés. Il faut surtout trouver de nouveaux équilibres et favoriser un élevage, qui entretient le territoire et la production de viande comme de lait.

  • Pour aller plus loin…
    En janvier 2019, l’INRAE publiait un avis scientifique, assorti de nombreuses données chiffrées et d’analyses approfondies, intitulé « Quels sont les bénéfices et les limites d’une diminution de la consommation de viande ? ».

    Cliquer ici pour consulter l’avis de l’INRAE
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Le regard de Francis Wolff, philosophe

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Professeur émérite à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, à Paris, Francis Wolff est un spécialiste de l’histoire de la philosophie ancienne. S’interrogeant sur les relations entre humanité et animalité, il les analysait en 2010 dans son ouvrage « Notre humanité. D’Aristote aux neurosciences » (Fayard). En 2017, il signait également « Trois utopies contemporaines » (Fayard), où il traitait, entre autres, de l’utopie animaliste, ainsi que de ses variantes antispéciste et végane. Il livre ici son point de vue sur la consommation de viande…

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Durant l’essentiel de notre histoire, nous nous sommes interrogés sur les moyens d’accéder à la viande, cet aliment plus rare et plus riche que d’autres. Or, depuis quelques années, certains en font un tabou. Cette préoccupation s’explique par une perte de sens : aujourd’hui, qu’est-ce que manger de la viande, élever des animaux, les abattre, puis les préparer ? Cependant, interdire cet aliment, ce n’est pas favoriser le bien-être animal, c’est abolir l’élevage et, avec lui, 10 000 ans de relations entre l’homme et l’animal. Je dirais donc qu’il n’y a pas d’interdit, mais des obligations propres à la consommation de viande.

 

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?

On pourrait donner plusieurs définitions du flexitarisme, que certains rapprochent volontiers du végétarisme. Dans une acception plus large et libérale, en ce qui concerne la viande précisément, cette tendance consiste à consommer des produits de qualité, de façon éclairée, raisonnable. Concrètement, il s’agit d’avoir conscience de ce que l’on mange, en mesurant ce que cela implique pour l’animal, ses conditions de vie et de mise à mort, mais aussi pour nous autres humains, qui avons des besoins à la fois alimentaires et conviviaux. Dans ce sens, le flexitarisme peut effectivement être perçu comme une réponse aux réflexions morales que sous-tendent les campagnes anti-viande.

 

La viande est-elle un aliment comme les autres ?

Aucun aliment n’est tout à fait comme les autres. Il y a ceux qui comblent nos besoins pour ne plus avoir faim, ceux qui nous procurent du plaisir comme les sucres et d’autres qui sont synonymes de fête, tels que la viande. Historiquement, elle a toujours été liée à des moments particuliers, durant lesquels un groupe d’individus communiait en partageant la chair d’un animal ayant vécu auprès d’eux, à la ferme ou issu de la chasse… Notre civilisation hyperurbanisée a perdu tout contact avec les animaux et la viande s’est banalisée, ce qui est regrettable pour notre alimentation et pour les élevages productivistes que cela a engendrés, fort heureusement rares en France.

 

Le flexitarisme est-il un humanisme ?

L’humanisme consiste à considérer comme des devoirs absolus ceux que nous avons envers tout humain, mais cela ne signifie pas que nous n’avons pas de devoirs, relatifs, envers les animaux. Je pense aux animaux de compagnie, qui font quasiment partie de la famille et auxquels nous devons notre affection. Les animaux sauvages nous imposent des devoirs écologiques, notamment celui de défendre les espèces menacées. Et les animaux domestiques que nous élevons pour leur chair, leur laine, leur cuir ou leur miel : nous devons les prémunir contre la faim, la soif, la maladie, la souffrance et les prédateurs, tout en leur permettant d’exprimer les comportements naturels propres à leur espèce. Si l’on respecte ce contrat moral, qui est celui du bien-être animal, alors il n’y a aucun interdit à la consommation de viande.

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Le regard de Jean-Michel Lecerf, médecin

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Endocrinologue, spécialiste des maladies métaboliques et nutritionnelles, Jean-Michel Lecerf travaille à l’hôpital de Lille et dirige le service nutrition de l’Institut Pasteur dans cette même ville. En 2016, il publiait le livre La viande : un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout ? (Buchet Chastel). Autant dire qu’il connaît le sujet !

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Cette formulation fait référence à l’opposition entre sarcophages, qui ne mangent pas de viande car elle rappelle l’image des animaux, et zoophages, que cela ne gêne pas et qui s’inscrivent dans une tradition millénaire. Aujourd’hui, les mouvements entendant mettre l’homme et l’animal au même plan prennent de l’ampleur. Il ne faut plus montrer la tête du lapin dans un plat, on préfère des filets à un poisson entier… Cependant, cette pensée ne correspond pas à notre condition d’omnivore et, personnellement, je ne mange pas des animaux, mais de la viande. Alors, le faut-il ? Aucune obligation, mais ce n’est pas un crime.

 

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?

Le terme « flexitarisme » est plutôt méconnu des patients, même si cette approche leur parle. Il s’agit de désigner des personnes ne consommant pas de viande midi et soir chaque jour et mangeant de temps en temps des menus végétariens, ce qui est le cas d’une grande majorité de Français ! C’est ce qu’on appelait auparavant le régime semi-végétarien, mais on pourrait tout aussi bien le qualifier de semi-carnivore ou de flexi-carnivore. Pour moi, c’est une façon de réduire sa consommation de viande, lorsqu’elle est excessive, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut également la cuire correctement, bien l’accompagner et varier son alimentation, c’est une évidence.

 

La santé aurait-elle envahi notre rapport à l’alimentation ?

Le climat actuel est assez anxiogène. Nous sommes soumis à des recommandations, des injonctions, des interdits, des exclusions de toutes sortes et cette approche hygiéniste modifie notre rapport à l’acte alimentaire. Celui-ci a pourtant une vocation plus large que simplement nous apporter des nutriments variés en bonne proportion. En effet, l’acte alimentaire remplit trois fonctions : nous nourrir et entretenir notre santé, nous réjouir par les plaisirs qu’il procure et, enfin, nous réunir pour partager des repas. Les deux dernières sont tout aussi fondamentales que la première, à laquelle elles contribuent. D’ailleurs, divers travaux montrent que l’hédonisme incite à manger mieux, plus varié, avec davantage de plaisir et moins de troubles à la clé.

 

Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé… En matière d’alimentation, moins, c’est mieux ?

Trop par rapport à quoi ? Et « moins » ne signifie pas nécessairement « mieux ». De même, l’IMC[1], la portion idéale et d’autres chiffres sont considérés comme des normes, alors qu’il s’agit de repères épidémiologiques. Tout dépend du profil de chacun, de son âge, de son poids, de sa condition physique, de son alimentation, de ses besoins… Je préfère un bon fromage gras en petite quantité, un yaourt au lait entier (non allégé) ou une belle entrecôte de temps en temps. La clé, c’est avant tout la variété, la modération si on est dans l’excès et, bien sûr, la qualité.

[1] Indice de Masse Corporelle

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Le regard de Frédéric Denhez, écrivain et conférencier

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Depuis 20 ans, cet ingénieur écologue de formation multiplie les livres, articles, conférences, expositions, émissions de radio et de télévision… Se définissant comme un vulgarisateur des questions relatives à l’environnement, il prépare actuellement un ouvrage consacré à notre système alimentaire. Alors, quelle est sa position sur la viande ?

Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?

Je pense que chacun est parfaitement libre d’agir comme il l’entend. Ceci dit, ne l’oublions pas, nous sommes des êtres omnivores, nous avons besoin de manger un peu de protéines animales et la viande est également un plaisir à partager. Après, d’un point de vue éthique, est-ce bien ou mal ? Cela relève de la morale personnelle, qu’il faut tout simplement assumer de A à Z. En effet, élever, abattre et manger des animaux implique des responsabilités très concrètes : celles de les traiter dignement, d’en faire une viande d’excellence, puis de la préparer et de l’apprécier comme il se doit.

 

Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?

Tout à fait et, d’ailleurs, les Français sont de plus en plus nombreux à adopter le régime flexitarien. À l’époque des Trente Glorieuses, la consommation de viande était un marqueur d’ascension sociale. Aujourd’hui, on se distingue plutôt en privilégiant la qualité à la quantité et cette dimension culturelle me semble très importante. Acheter de la viande de qualité, c’est aussi favoriser les exploitations respectueuses de l’animal, de la nature, ainsi que des producteurs. Enfin, on ne peut pas accuser un produit, quel qu’il soit, de tous les maux : c’est l’excès qui est préjudiciable. Tout est une question d’équilibre, bien sûr.

 

L’homme est-il un animal comme les autres ?

Physiologiquement parlant, on peut sans doute le dire, car nous avons environ 90% de gènes en commun avec le reste du monde animal. Mais ce n’est pas le cas sur le plan cognitif, puisque nous sommes les seuls à avoir conquis l’ensemble des biotopes sur la planète, à développer des liens sociaux ou encore à avoir conscience des autres espèces, que nous ne percevons pas uniquement comme des proies ou des prédateurs. Aussi, s’il n’est pas illégitime de les manger, nous avons le devoir absolu de préserver leur pérennité et leur bien-être. D’autant plus que les élevages conduits dans les règles de l’art ont un impact positif sur l’environnement.

 

En quoi manger de la viande pourrait bien être la meilleure façon de défendre les animaux ?

L’idée est surtout que l’élevage permet de maintenir des races, qui n’existeraient plus sans nous, car elles seraient inutilisées, mais aussi des agroécosystèmes, qui disparaîtraient sans leur fumier. Il n’y aurait alors plus de polyculture/élevage, de prairies, de bio… C’est bien l’agriculture née à la fin du XVIIIe siècle, associant fumier, assolement et culture des légumineuses, qui a évité les famines. Sans oublier que l’élevage français à l’herbe est bénéfique sur le plan environnemental, puisqu’il contribue notamment à l’absorption du carbone. Au final, dans notre société, on rejette la notion de mort, mais elle fait pourtant partie du cycle de la vie.

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