Le regard de Jean-Michel Lecerf, médecin
interviewLe regard de Jean-Michel Lecerf, médecin
interviewEndocrinologue, spécialiste des maladies métaboliques et nutritionnelles, Jean-Michel Lecerf travaille à l’hôpital de Lille et dirige le service nutrition de l’Institut Pasteur dans cette même ville. En 2016, il publiait le livre La viande : un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout ? (Buchet Chastel). Autant dire qu’il connaît le sujet !
Pour reprendre le titre bien connu du roman de Jonathan Safran Foer, faut-il manger les animaux ?
Cette formulation fait référence à l’opposition entre sarcophages, qui ne mangent pas de viande car elle rappelle l’image des animaux, et zoophages, que cela ne gêne pas et qui s’inscrivent dans une tradition millénaire. Aujourd’hui, les mouvements entendant mettre l’homme et l’animal au même plan prennent de l’ampleur. Il ne faut plus montrer la tête du lapin dans un plat, on préfère des filets à un poisson entier… Cependant, cette pensée ne correspond pas à notre condition d’omnivore et, personnellement, je ne mange pas des animaux, mais de la viande. Alors, le faut-il ? Aucune obligation, mais ce n’est pas un crime.
Le flexitarisme peut-il être une réponse aux maux dont est accusée la consommation de viande aujourd’hui ?
Le terme « flexitarisme » est plutôt méconnu des patients, même si cette approche leur parle. Il s’agit de désigner des personnes ne consommant pas de viande midi et soir chaque jour et mangeant de temps en temps des menus végétariens, ce qui est le cas d’une grande majorité de Français ! C’est ce qu’on appelait auparavant le régime semi-végétarien, mais on pourrait tout aussi bien le qualifier de semi-carnivore ou de flexi-carnivore. Pour moi, c’est une façon de réduire sa consommation de viande, lorsqu’elle est excessive, ce qui n’est pas souhaitable. Il faut également la cuire correctement, bien l’accompagner et varier son alimentation, c’est une évidence.
La santé aurait-elle envahi notre rapport à l’alimentation ?
Le climat actuel est assez anxiogène. Nous sommes soumis à des recommandations, des injonctions, des interdits, des exclusions de toutes sortes et cette approche hygiéniste modifie notre rapport à l’acte alimentaire. Celui-ci a pourtant une vocation plus large que simplement nous apporter des nutriments variés en bonne proportion. En effet, l’acte alimentaire remplit trois fonctions : nous nourrir et entretenir notre santé, nous réjouir par les plaisirs qu’il procure et, enfin, nous réunir pour partager des repas. Les deux dernières sont tout aussi fondamentales que la première, à laquelle elles contribuent. D’ailleurs, divers travaux montrent que l’hédonisme incite à manger mieux, plus varié, avec davantage de plaisir et moins de troubles à la clé.
Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé… En matière d’alimentation, moins, c’est mieux ?
Trop par rapport à quoi ? Et « moins » ne signifie pas nécessairement « mieux ». De même, l’IMC[1], la portion idéale et d’autres chiffres sont considérés comme des normes, alors qu’il s’agit de repères épidémiologiques. Tout dépend du profil de chacun, de son âge, de son poids, de sa condition physique, de son alimentation, de ses besoins… Je préfère un bon fromage gras en petite quantité, un yaourt au lait entier (non allégé) ou une belle entrecôte de temps en temps. La clé, c’est avant tout la variété, la modération si on est dans l’excès et, bien sûr, la qualité.
[1] Indice de Masse Corporelle